C'est un des maux du XXIe siècle : aujourd'hui, près de 30 % des Français souffrent d'au moins une allergie, quand ils étaient environ 5 % jusque dans les années 1960. Définies comme une réponse disproportionnée du système immunitaire, les allergies sont provoquées par des substances dites « allergènes », généralement inoffensives et présentes partout : dans l'air, la nourriture ou les médicaments. Le docteur Isabelle Bossé, allergologue, présidente de l'Association de recherche clinique en allergologie et en asthmologie (ARCAA) et du Syndicat français des allergologues (SYFAL), le résume ainsi : « les allergies sont des maladies de l'environnement au sens large ».
Pourquoi les allergies se répandent-elles en France comme un nuage de pollen ? Le docteur Isabelle Bossé revient pour nous sur les raisons et les conséquences de cette prévalence des allergies.
Des allergies plus nombreuses et plus graves
Dans les années 1960, comme le précise l'allergoloque, seuls 4 à 6 % de la population française souffraient d'allergies. À l'horizon 2050, près de 50 % des populations occidentales risquent d'être allergiques, contre 25 à 30 % aujourd'hui.
Des chiffres en constante évolution depuis le début du XXe siècle qui s'expliquent par la modification de notre environnement. La présidente de l'ARCAA précise : « en quarante ou cinquante ans, nos modes de vie et notre environnement ont considérablement évolué ». Migrations urbaines, industrialisation et multiplication des voitures ont participé au développement de la pollution extérieure. En parallèle, nous nous sommes enfermés dans des lieux clos et utilisons de nombreux produits qui émettent des composés organiques volatiles, créant ainsi une pollution intérieure.
Ces deux sources de pollution ne nous laissent donc aucun répit et s'avèrent très irritantes pour nos muqueuses, les fragilisent et les rendent plus sensibles aux allergènes. Ajoutons à cela une hygiénisation croissante de nos modes de vie et les modifications de l'environnement induites par le changement climatique : mécaniquement, la prévalence des maladies allergiques, comme l'asthme ou la dermatite atopique, augmente.
Un problème à l'échelle mondiale. Si jusqu'alors les pays en développement étaient relativement épargnés, leur progression vers l'industrialisation, elle, ne leur permet plus d'échapper à ces maladies chroniques, comme le précise le docteur Bossé.
Cette véritable « épidémie » ne fait pas que s'étendre : elle gagne également en intensité. En cause, les particules fines en suspension dans l'air, qui peuvent renforcer l'agressivité des potentiels allergènes, comme le pollen, en modifiant leur structure. « De plus en plus de patients ont des pathologies sévères qui entraînent une véritable altération de la qualité de vie », explique le médecin allergologue. Une altération qui peut prendre la forme d'une perturbation de la vie sociale, du sommeil, d'une baisse de la productivité, de problèmes de concentration ou d'arrêts maladie.
Demain, tous condamnés à être allergiques ?
Face à ce raz-de-marée, la question se pose : serons-nous tous allergiques demain ? Bien heureusement, non. Si l'environnement joue un rôle capital dans la pathologie allergique, des prédispositions génétiques et épigénétiques, favorisant ou non la modification du système immunitaire, entrent également en considération. Nous ne sommes ainsi pas tous égaux face aux risques allergiques.
Reste qu'il y a urgence à agir, alors que les coûts individuels, économiques et sociaux des allergies sont connus et très loin d'être négligeables. « C'est une maladie avec énormément de patients impactés. », estime le docteur Bossé. Rien que les rhinites allergiques, pour les arrêts de travail qu'elles engendrent, ont généré en 2016 une perte de près de 16 milliards d'euros à l'échelle française... et de 130 milliards d'euros à l'échelle européenne. Des montants déjà très sérieux pour un des syndromes allergiques les plus courants. Les allergies liées à l'ambroisie, quant à elles, représentent un coût compris entre 415 millions et 654 millions d'euros par an en France*... Des chiffres, là encore, très alarmants pour un seul pollen allergisant présent dans notre pays.
Les solutions sont connues. La première passe par une amélioration de la qualité de l'air. Grâce à des mesures étatiques, comme les zones à faibles émissions, ou la responsabilisation des industries et des entreprises. Mais, comme le rappelle le docteur Isabelle Bossé, pour la pollution intérieure, le simple fait d'ouvrir les fenêtres dix minutes par jour est déjà capital. « L'air intérieur est sept à huit fois plus pollué que l'air extérieur ! », souligne l'allergologue. « Et nous passons 80 % de notre temps à l'intérieur », poursuit-elle.
L'information est également l'une des clés de la lutte contre les allergies. Tout d'abord, informer les médecins permettrait une meilleure prise en charge. Ensuite, et surtout, informer le grand public qui, plus au fait des processus pathologiques, pourrait mieux se prémunir et comprendre la complexité de ces maladies. Une démarche fondamentale quand on sait que 61 % des personnes allergiques estiment que leur entourage banalise leur maladie**. La prévention est également une des clés, rappelle le docteur Bossé. L'ARCAA a ainsi lancé un site, Mon air, mes allergies, regroupant des conseils concrets afin que chacun puisse améliorer son environnement au quotidien et ainsi limiter les risques d'exposition.
Enfin, la recherche scientifique avance, ce qui représente un véritable espoir pour les personnes allergiques. De nombreux traitements efficaces voient le jour comme la biothérapie ou l'immunothérapie allergénique. « Dans quelques années nous aurons certainement des thérapeutiques plus larges et plus ciblées, voir même préventives. », conclut le docteur Isabelle Bossé.
C'est d'ailleurs pour développer des solutions scientifiques innovantes dans la lutte contre les allergies qu'AGIPI s'est associée avec la Société française d'allergologie (SFA) pour participer au financement de 12 bourses à des étudiants en allergologie. Parmi les récipiendaires, dévoilés lors du Congrès francophone d'allergologie, on trouve des projets de recherche autour du dépistage des allergies respiratoires ou des traitements novateurs pour les patients souffrant d'allergies alimentaires ou cutanées.
Cet engagement d'AGIPI a été salué par le docteur Julien Cottet, vice-président de la SFA. « Les maladies allergiques sont des maladies graves, dont la prévalence ne fait qu'augmenter. Le défi est immense, nous devons apporter des solutions concrètes et rapides pour aider la population. Promouvoir et soutenir financièrement la recherche, c'est assurer un avenir rassurant pour nos enfants. Pour la première fois de l'histoire de notre société savante, nous finançons des projets pertinents et innovants d'étudiants en allergologie, et ce, grâce à AGIPI. »
* Source ANSES : « L'ambroisie en France : coûts des impacts sanitaires et pistes d'actions » - Décembre 2020.
** Source : Association asthme et allergies