Les entrepreneurs ne s’effraient pas des tribulations politiciennes actuelles. Tandis que le monde politique s'agite et que la France s'enlise dans les débats, ils restent concentrés sur l'essentiel : leur business. Loin des querelles et des incertitudes publiques médiatiques, ils poursuivent leurs projets avec détermination. Nous avons rencontré deux entrepreneurs de la French Tech : Julia Néel Biz, co-fondatrice de Teale et Benjamin Gaignault, co-fondateur de Skarlett, pour échanger sur la résilience et l'adaptabilité des entrepreneurs français face à l'instabilité politique.
L'entrepreneuriat ne cherche pas à prédire l'avenir, mais à le créer
À l'image d'un pilote d'avion, les entrepreneurs avancent avec détermination, malgré les aléas (économiques, politiques ou climatiques). Cette métaphore illustre leur capacité à gérer l'incertitude : ils adoptent une posture de maîtrise qui leur permet de garder le cap, quels que soient les imprévus. Les crises ne sont pas vues comme des obstacles, mais comme des occasions à saisir. "Notre rôle, c'est de savoir naviguer dans les tempêtes tout en maintenant la direction", souligne Julia Néel Biz.
“Crier à la catastrophe, tout le monde sait faire. Prendre le temps de regarder un peu plus loin que la situation actuelle, et se dire, mais comment va-t-on transformer cette situation en une opportunité ?, ça c’est être un entrepreneur” estime Benjamin Gaignault. "En tant qu'entrepreneur, j'ai appris que l'optimisme est notre meilleure arme face à l'adversité. Chaque crise, chaque mauvaise nouvelle est une opportunité déguisée. J'ai traversé de nombreuses crises au cours de ma carrière, et à chaque fois, je me suis posé la même question : quelles opportunités pouvons-nous saisir dans cette situation critique ? C'est le rôle de l'entrepreneur, du CEO, de les trouver. Personne d'autre ne le fera à notre place. Cela s'applique à tous les types de crises : économiques, sociales et politiques. C'est devenu pour moi un critère essentiel. Aujourd'hui, je n'investis que dans des entrepreneurs qui sont résolument optimistes. Si on n'est pas un peu naïf et optimiste, ça ne peut tout simplement pas fonctionner.”
La crise du COVID a démontré cette capacité d'adaptation
"Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise" ("Never let a good crisis go to waste"). Cette citation attribuée à Sir Winston Churchill fait rebond avec l’état d’esprit entrepreneur de Julia Néel Biz. “Chez Teale*, nous avons vécu la crise du COVID comme une véritable opportunité. Bien que notre idée avait germé début 2020 avant la pandémie, celle-ci a agi comme un puissant catalyseur. Nous avions identifié un besoin colossal en matière de santé mentale, un domaine longtemps négligé par l'innovation et les investissements. La crise sanitaire a brutalement mis en lumière cette problématique, brisant les tabous et créant une urgence sociétale. Ce qui nous semblait être un retard de plusieurs décennies s'est soudainement réduit. Nous avons réalisé que le moment était venu d'accélérer et de nous lancer. Cette crise a donc eu l’effet de valider notre vision et elle nous a propulsé en avant, nous permettant de combler rapidement une partie du retard accumulé dans le domaine de la santé mentale des salariés de France. Cette période difficile a finalement été le tremplin dont nous avions besoin pour concrétiser notre projet et apporter une solution innovante à un problème devenu central."
Conscients d'avoir un rôle économique, les entrepreneurs ne se considèrent pas tous en sauveurs du monde
Entre les entrepreneurs et la politique, une relation complexe mais inévitable se nourrit : d'un côté, des entrepreneurs qui considèrent les institutions comme un levier d’influence (de lobbying) au service des intérêts de leurs entreprises, de l'autre, ceux qui appellent à une action plus directe et proactive des Pouvoirs publics dans l'écosystème entrepreneurial.
Fort de 10 années pour développer Ornikar*, Benjamin Gaignault partage son expérience : “J’ai fait beaucoup de lobbying pour pouvoir faire évoluer la réglementation sur le code de la route et l'apprentissage de la conduite. Ça a été très important pour la stratégie de l’entreprise. J’ai rencontré beaucoup d’hommes et de femmes politiques et je constate que le législateur a toujours un train de retard sur l'innovation. Le rôle de l’entrepreneur, c'est d'ouvrir des portes aux béliers et d'essayer d'aller expliquer l'intérêt de cette démarche aux politiques qui reçoivent plus d'une centaine de personnes qui ont chacune des intérêts divers et variés. Notre rôle c’est de faire entendre notre voix auprès des politiques et leur rôle, c’est de faire passer des lois. C’est donc très important qu’ils n’aient pas qu’un seul son de cloche.”
Julia Néel Biz reconnaît également des lacunes dans la compréhension des enjeux par les politiques. Elle appelle à une action plus proactive des Pouvoirs publics et souligne l'importance du dialogue, particulièrement en période d'instabilité politique. “Dans un contexte politique instable, le rôle des associations d'entrepreneurs comme France Digitale est d'autant plus crucial. Elles assurent le lien avec les Pouvoirs publics et veillent à préserver les avancées majeures réalisées ces dix dernières années pour soutenir la French Tech. Ces associations contribuent à maintenir un environnement propice au développement de l'innovation, tant à l'échelle nationale qu’européenne. Je suis également engagée dans le mouvement de Sista, qui œuvre pour l'égalité femmes-hommes dans le financement des entreprises technologiques. Les chiffres sont éloquents : 22 % des start-ups sont fondées par au moins une femme et, c'est à peu près 15 % des fonds levés par des équipes mixtes, et encore moins quand les équipes sont 100 % féminines. Je pense qu'on a tous un rôle à jouer ! Les femmes entrepreneures, en se soutenant entre elles et en s'aidant, montrent que c'est tout à fait possible d'être une entrepreneure et de lever des fonds. Les Pouvoirs publics ont un rôle proactif à jouer sur la sensibilisation et le financement. Ils peuvent agir dès l'école et pour la féminisation des filières technologiques. Mon sentiment, c’est que ce sont des sujets de société que les politiques comprennent assez mal, ils les cantonnent à des constats, des effets d’annonces et la promesse de subventions. Il y a encore trop peu d’actions politiques concrètes dans ce domaine.”
Julia Néel Biz a commencé sa carrière en conseil stratégique. En 2021, elle cofonde Teale, avec Nicolas Merlaud, Gilles Rasigade et Geoffroy Verzatla, première plateforme holistique de santé mentale dédiée aux collaborateurs en entreprise. *Teale accompagne plus de 500 000 employés pour prendre soin de leur bien-être psychologique de manière préventive, aidant ainsi des centaines d'entreprises à construire des équipes plus fortes et résilientes. En 2022, Teale est élue meilleure solution B2B de santé mentale en France selon une étude basée sur le modèle MARS-F, l'échelle d'évaluation des applications mentales recommandées par la Haute Autorité de Santé. En 2023, la plateforme a levé 10 millions d'euros en Série A.
Julia Néel Biz a été membre du Board de France Digitale et engagée au sein du collectif Sista depuis octobre 2021, où elle contribue à la promotion de l'égalité de financement entre fondatrices et fondateurs de start-ups.
Benjamin Gaignault co-fonde *Ornikar en 2013 à 24 ans. Ornikar est une auto-école en ligne qui a révolutionné l'apprentissage du permis de conduire en France. Elle a formé plus de 3 millions d'étudiants et est devenue leader sur le marché français des auto-écoles. Benjamin Gaignault est business angel et administrateur de la fondation KEDGE Business School depuis décembre 2022.
En 2023, il cofonde Skarlett, une start-up visant à améliorer le pouvoir d'achat des plus de 60 ans en leur permettant de monétiser leur patrimoine immobilier. Fin janvier 2023, Skarlett lève 4 millions d'euros.