Entre 1993 et 2023, pas moins de huit lois réformant les retraites ont été adoptées en France. Le point de départ de cette inflation législative est le Livre Blanc de 1991, coordonné par le Commissariat général au Plan et préfacé par Michel Rocard, le premier ministre de l’époque. Ce texte montre que le vieillissement de la population française remet en cause le financement du système des retraites du pays.
Un problème de financement du système
En France, les régimes de retraite de base et de retraite complémentaire fonctionnent selon le principe de la répartition, qui prévoit que les cotisations vieillesse versées par les actifs financent immédiatement les pensions des retraités, sachant que leurs retraites seront, à leur tour, payées par les générations suivantes. Problème : sous l’effet à la fois de la baisse de la natalité et de l’augmentation de l’espérance de vie, il y a de moins en moins de cotisants et de plus en plus de retraités.
Face à ce constat alarmant, les réformes des retraites, qui ont succédé au Livre Blanc, visent à augmenter les recettes et à réduire les dépenses des régimes. La loi du 22 juillet 1993, dite « réforme Balladur » (en référence à Édouard Balladur, alors premier ministre), modifie les paramètres des régimes de retraite de base du privé (hormis celui des professions libérales). La durée d’assurance - le nombre de trimestres de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite de base au taux plein (sans décote) - passe progressivement de 150 trimestres (37,5 ans) à 160 trimestres (40 ans).
Des efforts demandés d’abord aux actifs du privé
Par ailleurs, le salaire annuel moyen (SAM), utilisé comme salaire de référence dans le calcul de la retraite de base, est établi sur la moyenne des 25 meilleures années de rémunération, contre la moyenne des 10 meilleures années auparavant. Cette mesure « a eu principalement pour effet de faire baisser le taux de remplacement (ratio entre le total des pensions versées la première année de retraite et le dernier salaire annuel perçu) », constate Vie-publique.
Enfin, les retraites de base du privé sont désormais revalorisées, chaque année, sur l’inflation et non plus sur les hausses salariales. Or, les prix augmentent traditionnellement moins vite que les salaires. Au fil des ans, le pouvoir d’achat des retraités du secteur privé décroche ainsi par rapport à celui des actifs.
Un fonds pour compenser le « papy-boom »
Sous le gouvernement de Lionel Jospin, la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 1999 a créé le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Alimenté par une partie des privatisations, le FRR vise à financer les départs massifs à la retraite des « baby-boomers », la génération née après la Seconde Guerre mondiale, un tiers plus nombreuse que les autres classes d’âges.
La loi du 21 août 2003 ou « loi Fillon » (le patronyme de l’ancien ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, François Fillon) réforme les régimes de retraite de base du secteur privé, mais aussi les régimes de retraite de la fonction publique. En revanche, le texte ne concerne pas les régimes dits « spéciaux » en vigueur dans les établissements et entreprises publiques (EDF, SNCF, RATP, Banque de France…).
Des mesures étendues aux fonctionnaires
La durée d’assurance des régimes du public est alignée sur celle des régimes du privé, puis portée pour tous ces régimes à 164 trimestres (41 ans de cotisation) en 2012. La décote (une minoration de la retraite de base si l’assuré part à la retraite sans avoir validé tous ses trimestres) est étendue aux fonctionnaires. Une surcote (une majoration de la retraite si l’assuré continue à travailler au-delà de sa durée d’assurance) est instaurée pour les salariés et les agents de la fonction publique.
La loi Fillon a créé la retraite anticipée pour carrière longue (RACL), qui permet aux actifs ayant tous leurs trimestres et ayant commencé à travailler entre 14 et 16 ans de partir avant 60 ans, l’âge minimum de départ à la retraite à l’époque (ou « âge légal). Le texte met en place deux dispositifs facultatifs de retraite supplémentaire par capitalisation : le plan d’épargne retraite populaire (Perp) accessible à tous les particuliers (contrat individuel) et le plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco) proposé uniquement dans le cadre de l’entreprise (contrat collectif). Les retraites des fonctionnaires sont indexées sur l’inflation et non plus sur l’évolution du point d’indice de la fonction publique.
Les régimes spéciaux à leur tour
Le 1er juillet 2008 est entrée en vigueur une réforme qui étend les principales modifications appliquées aux régimes de la fonction publique aux régimes spéciaux : augmentation de la durée d’assurance de 150 à 160 trimestres, création d’une décote et d’une surcote, revalorisation des retraites sur la hausse des prix et non plus sur la progression du traitement des agents.
La réforme Woerth (du nom de l’ex-ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique, Éric Woerth) décale progressivement l’âge légal de 60 à 62 ans et l’âge de retraite à taux plein (à partir duquel la décote est annulée) de 65 à 67 ans. La durée d’assurance est progressivement portée à 166 trimestres (41,5 ans). Dans le cadre de la RACL, un départ avant 62 ans est possible pour les actifs ayant tous leurs trimestres et ayant débuté leur carrière avant 18 ans. Une retraite anticipée pour pénibilité est créée : les salariés présentant une incapacité permanente (IP) liée au travail supérieure ou égale à 20%, voire à 10%, peuvent partir à 60 ans au taux plein.
Décalage de l’âge légal et de la durée d’assurance
Peu après son arrivée à l’Élysée, François Hollande a signé le 2 juillet 2012 un décret pour étendre la RACL aux actifs ayant démarré leur vie professionnelle avant 20 ans. Surtout, sous sa présidence, a été votée la réforme Touraine (du nom de l’ex-ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine) de 2014. Celle-ci a progressivement allongé la durée d’assurance de 166 trimestres (41,5 ans) à 172 trimestres (43 ans) pour les générations nées à partir de 1973. Elle instaure un compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) pour les salariés exposés à 10 risques professionnels, qui leur permet notamment de partir à la retraite à 60 ans. Le 1er janvier 2018, le C3P sera remplacé par le compte professionnel de prévention (C2P) qui ne prend plus en compte que six critères de pénibilité.
La réforme Borne (du nom de l’ex-première ministre, Élisabeth Borne) de 2023 clôt le bal des réformes. Sa principale mesure est le report progressif de l’âge légal de 62 à 64 ans pour les actifs nés à compter de 1968. Le calendrier d’allongement de la durée d’assurance prévu par la réforme Touraine est accéléré : les 172 trimestres sont requis dès la génération 1965, au lieu de la génération 1973. La RACL est entièrement refondue : un départ est autorisé à 58 ans pour les assurés ayant travaillé avant 16 ans, à 60 ans pour ceux avant 18 ans, 62 ans avant 20 ans et 63 ans avant 21 ans. Les modalités du C2P sont assouplies. Enfin, la majorité des régimes spéciaux sont supprimés.