Pour porter ses convictions, AGIPI a lancé, voici deux ans, une récompense dédiée aux nouveaux entrepreneurs responsables. Finaliste de la dernière édition lilloise de Génération entrepreneurs Prix AGIPI pour un monde durable, la start-up HEROIC santé offre aux patients la possibilité de devenir les véritables acteurs de la transformation du système de santé. Rencontre avec Philippe Mougin, son fondateur.
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre activité ?
Philippe Mougin : HEROIC santé est une plateforme digitale de santé collaborative lancée fin novembre 2019 et qui compte déjà 6 000 membres. Gratuite, elle est dédiée aux patients de maladies chroniques et aux aidants. Les professionnels de santé tels que les infirmiers libéraux peuvent également s’y connecter et créer un espace qui leur est dédié. L’objectif est d’identifier les besoins en matière d’amélioration de la vie quotidienne grâce à différents outils permettant de comprendre le parcours de santé du patient. Le but est d’identifier des besoins collectifs pour lesquels il peut déjà exister des solutions. Avec un espace que l’on appelle le « labo d’idées », les patients et les aidants peuvent ainsi échanger leurs trucs et astuces pour améliorer les choses. Cela offre aux patients la possibilité de disposer de conseils personnalisés et d’optimiser la coopération, la coordination, voire leur relation avec les soignants.
Et dans le cas où aucune solution n’aurait encore été trouvée à un problème particulier ?
Philippe Mougin : Lorsqu’il n’existe pas encore de réponse à une question donnée, les « labos d’idées » sont là pour favoriser l’échange et la co-construction d’une ou de plusieurs solutions entre patients, aidants et professionnels de santé.
Pourriez-vous nous donner un exemple de projet ayant émergé à la suite de ces échanges d’idées ?
Philippe Mougin : Les malades douloureux chroniques, qui regroupent aussi bien des patients souffrant de douleur chronique que des personnes ayant des douleurs associées à une maladie chronique, ont exprimé le sentiment que cette douleur contribuait à les isoler dans leur milieu professionnel. Non seulement, il peut être difficile d’en parler mais en plus les symptômes de ces douleurs chroniques sont souvent méconnus des collègues et des managers. Face à ce fossé, qui au mieux peut susciter de l’incompréhension de la part de leur environnement professionnel, ils ont imaginé la réalisation d’une bande-dessinée. Par le biais de cas professionnels concrets, celle-ci illustre la façon dont ces douleurs chroniques peuvent parfois peser sur leur activité. L’idée étant que les autres salariés ou un membre de la hiérarchie puisse reconnaître et réagir face à certains signaux d’alerte. Désormais éditée, cette BD constitue un outil de communication pour les patients pour s’exprimer sur ce sujet. D’ailleurs, afin d’être certain que cet ouvrage remplisse son objectif, sa diffusion s’accompagne de la prise de parole en entreprise d’un représentant de l’Association Francophone pour Vaincre la Douleur (AFVD).
De quelle façon la plateforme a-t-elle participé à ce projet ?
Philippe Mougin : HEROIC santé a participé à la formalisation du projet avec certains des patients de la plateforme. Nous les avons aidés à trouver une société capable de réaliser une bande-dessinée et nous les avons mis en relation avec une association spécialiste du sujet afin de valider le contenu de la publication. Enfin, nous avons financé la totalité de la réalisation du projet qui existe aujourd’hui sous forme imprimée et en document PDF.
Comment avez-vous financé ce projet ?
Philippe Mougin : Sur notre plateforme, nous avons développé une structure de type financement participatif (crowdfunding). Autrement dit un espace où plusieurs projets portés par des patients sont présentés avec le détail du nombre de soutiens, le montant à atteindre pour lancer l’initiative et le temps nécessaire pour réaliser la levée de fonds.
Tout le monde peut donc participer à ces opérations de crowdfunding ?
Philippe Mougin : Cela n’est pas encore à l’ordre du jour mais c’est à l’étude. Pour l’instant, notre modèle économique est de type Robin des Bois, c’est-à-dire redistributif. Nous finançons les solutions imaginées par et pour les patients en valorisant leur vécu. Pour ce faire, rien de plus simple. A l’instar de groupes comme Ipsos, Sofres ou Kantar Health, nous fonctionnons comme une société d’études. Pour chaque enquête, étude ou panel menée auprès d’eux, les patients inscrits sur la plateforme sont rétribués dans une certaine proportion du chiffre d’affaires réalisé. HEROIC santé redistribue plus de 20 % de son CA contre à peine 3 % pour les autres sociétés d’études. Cette rétribution se fait au moyen d’une monnaie virtuelle dénommée H€uroIC (prononcer Euroïque) qu’ils vont ensuite pouvoir utiliser pour financer de nouvelles initiatives visant à améliorer leur qualité de vie ou celle des autres patients et qui seront nécessairement portées par des associations. L’intérêt de ce modèle est double. D’une part, il permet de voir naître des projets de façon naturelle, au fil de l’eau, sans devoir souffrir d’une lourdeur dans le processus de décision et de validation. D’autre part, au fur et à mesure que notre communauté s’agrandit, sa force de frappe financière s’accroît et avec elle l’importance et le nombre des projets.
Quels sont les autres projets actuellement en cours ?
Philippe Mougin : Notre projet aujourd’hui le plus avancé est la création d’une permanence « douleurs chroniques » à Brive-la-Gaillarde où des patients ont été formés pour l’animer. Nous sommes en train également de préparer l’arrivée d’un projet consacré à l’autisme et d’un autre sur le financement de systèmes lumineux destinés à des enfants touchés par des cancers. D’autres initiatives sont en cours de discussion et devraient concerner l’hémophilie et la sclérose en plaques. Notre souci principal reste toujours de mettre le patient au centre de la décision. Il doit véritablement être un accélérateur de la transformation de notre système de santé. Dans notre modèle, nous devrions pouvoir financer pour près de 15 millions d’euros de projets imaginés par et pour les patients dans les cinq prochaines années.
De quoi la fin de la période de confinement a-t-elle été synonyme pour vous ?
Philippe Mougin : Avant même d’évoquer la fin de cette période, je dois tout d’abord vous dire que le confinement lui-même a été une source intense d’activité pour nous. Pour répondre aux inquiétudes des patients, nous avons notamment publié des articles sur le thème des risques des maladies chroniques face au Covid-19 ou encore sur l’importance de l’entraide collaborative pour garantir la continuité des soins et la qualité de vie des malades chroniques. Pour revenir à la fin du confinement, celle-ci est synonyme de lancement de plusieurs actions avec des structures et des organisations dont la préoccupation principale est de conserver le lien avec les patients. C’est d’ailleurs tout le sens du service que nous mettons en place avec le groupement hospitalier de l’Institut catholique de Lille, au travers des établissements Saint-Vincent et Saint-Philibert. En raison de l’épidémie de Covid-19, ceux-ci ont dû déprogrammer les consultations hospitalières de 1 300 patientes atteintes de sclérose en plaques. Or, ces femmes ont besoin non seulement d’un soutien psychologique mais aussi de séances de kinésithérapie. Aujourd’hui la question pour les établissements de santé consiste à remettre en place ces consultations tout en tenant compte de la situation de chaque personne. Ne pouvant pas les accueillir toutes en même temps, il va falloir établir un bilan de la situation clinique et sociale de chacune d’entre elles. C’est là qu’HEROIC santé intervient en devenant l’espace communautaire permettant à la fois à l’établissement de santé de garder le lien avec ses patientes et aux patientes de conserver un lien entre elles.
Concrètement, comment les choses vont-elles se dérouler ?
Philippe Mougin : Une infirmière, dite de coordination, va appeler toutes les personnes concernées dans un délai d’un mois afin que celles-ci répondent à un questionnaire à la fois clinique et environnemental (social et mobilité) sur notre plateforme. Cela va permettre à l’établissement de comprendre et d’évaluer au mieux la situation individuelle et collective des patientes et d’organiser leur accueil par les différents professionnels de santé. HEROIC santé aura également pour fonction de répondre à toutes les questions auxquelles un retour à l’hôpital dans un contexte de fin d’épidémie de Covid-19 pourra donner lieu. En cas de besoin urgent, un système de sonnette similaire à celle que l’on peut trouver dans une chambre d’hôpital sera mise en place et pourra être actionné par les patientes. Nous sommes aussi en contact avec une vingtaine de centres anticancéreux qui aimeraient faire la même chose avec certains de leurs patients.
En savoir plus : heroicsante.fr
Interview réalisée par Gilles Petit, journaliste – Publiée le 19 mai 2020