Pour son premier numéro, LE FIL AGIPI donne la parole à deux économistes, Agnès Verdier-Molinié, chercheuse et directrice de la Fondation iFRAP* et Éric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision à l'OFCE**.
Il y a un an, un virus débarquait et bouleversait l'ordre du monde, reportant à plus tard tous les projets de réforme. Le gouvernement a paré au plus pressé, soutenant l'économie et les Français « quoi qu'il en coûte ». Mais à quel prix ? Que faire de cette dette colossale ? Comment va-t-elle influer sur l'épargne ? Deux avis tranchés montrant une compréhension bien distincte du sujet à découvrir en vidéo.
Où en est la dette française aujourd'hui ?
« Accélérée par la chute du PIB en 2020, la dette a bondi », commente Agnès Verdier- Molinié. De 1 000 milliards d'euros en 2003, elle s'élèvera à plus de 3 000 milliards d'euros en 2022, passant de 60 % de la richesse nationale à plus de 120 %. « Il y a une explosion de la dette française, on a emprunté en 2020 un milliard d'euros par jour, je crois qu’il est de temps de s’en préoccuper ». Éric Heyer précise : « Par rapport au ratio Produit Intérieur Brut, on devait frôler les 100 points de PIB. On va exploser cette barre et on devrait plutôt se situer autour de 120 points. Cela veut dire que la dette a augmenté de 20 points de PIB, c’est beaucoup ».
Qui sont les débiteurs et les prêteurs ?
Une dette est caractérisée par un débiteur qui emprunte de l’argent auprès d’un prêteur.
« En premier lieu, ce sont de grandes banques qui détiennent cette dette », précise Éric Heyer. En second lieu, « Tous les particuliers qui ont un peu d'argent de côté, une assurance-vie en euros par exemple, possèdent de la dette française ». Mais les banques centrales sont aussi parties prenantes de la dette publique. « La BCE en détient 600 milliards, et certains autres établissements étrangers – dont la banque centrale chinoise – possèdent de grandes quantités de dette. », ajoute Agnès Verdier-Molinié.
Elle milite pour l'anticipation et la préparation de l'après-crise ; ses solutions passent par la baisse de la fiscalité pour favoriser l'investissement et la croissance, et par la réduction des dépenses, notamment du coût du service public, donc de sa masse salariale. Et pas question d'annuler la dette du « quoi qu'il en coûte ».
Comment sortir de la spirale du « quoi qu'il en coûte » ?
« Sa mise en place était nécessaire , selon Éric Heyer, même si ce n'est pas parfait. » Il précise que les ménages modestes et les entreprises fragiles ont respectivement perdu 8 et 60 milliards de revenus en 2020. Mais la dette n'est, de son point de vue, pas un problème. Il y a plus de demande de dette que d'offre et une confiance dans la capacité de l’État français à la rembourser, d'où les taux très bas, voire négatifs. La dette reste attractive sur les marchés tant que l’on rembourse les intérêts, précise Éric Heyer, qui pense que l'État peut encore continuer à emprunter vu la faiblesse des taux.
Est-il envisageable d'annuler ou d'ajourner la dette ?
« La dette ne coûte pas cher, et l'annuler créerait un problème là où il n'y en a pas, en faisant bondir les taux , continue-t-il. Le vrai problème de la dette, c'est ce qu'on en fait. » Éric Heyer pense qu'elle doit servir pour investir dans les secteurs qui feront repartir la croissance. Pour Agnès Verdier-Molinié, ne pas rembourser la dette poserait immédiatement un problème : « Comment finance-t-on le déficit de l’année en cours ? Si on dit au marché, on ne va pas vous rembourser, personne ne va continuer à nous prêter ! ».
Quelles sont les conséquences sur l'épargne ?
En 2020, avec le « quoi qu'il en coûte » et la baisse de la consommation les Français ont épargné plus de 100 milliards d'euros. « Mais c'est une épargne forcée, contrainte. », remarque Éric Heyer. « Il faut certes protéger certains Français de la grande pauvreté, mais il ne faut pas taxer cette épargne, du moins pas tout de suite », pense-t-il.
Pour Agnès Verdier-Molinié, « cette épargne a été constituée car on a empêché les Français d’investir, de faire des projets, de concrétiser leurs idées entrepreneuriales ».
Taxer cette épargne, une solution que préconisent certains politiques, ne lui semble pas être une bonne idée. Les personnes qui détiennent beaucoup d'épargne sont les moteurs de la future croissance française et l'augmentation des prélèvements obligatoires entre 2010 à 2013 n'a pas eu d'effets positifs sur l'économie.
« Il faut que notre épargne serve aux PME et TPE françaises. Tous les pays d'Europe font cela pour soutenir leur économie pendant que la France réfléchit et tergiverse », souligne Agnès Verdier-Molinié, qui défend des actions rapides et fortes, ainsi qu'une vision dynamique et non punitive de la fiscalité, pour augmenter la productivité. « Mais en veillant à bien pondérer pour limiter les inégalités », conclut Éric Heyer.
* Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques
** Observatoire français des conjonctures économiques