Dans cette interview exclusive, Marie-Laure Barut-Etherington, directrice générale adjointe à la Direction Générale des Statistiques et des Etudes Internationales (DGSEI) de la Banque de France, partage les tendances qui façonneront le paysage de l'épargne en 2025. Cette analyse dévoile les mécanismes sous-jacents des comportements financiers des Français face aux mutations économiques, explore l'impact profond de la politique monétaire sur les stratégies patrimoniales et examine le rôle de la gestion d'actifs dans la transition vers une économie durable plus responsable. Une perspective rare et éclairante sur l'avenir de l’épargne des ménages.
Quelles sont les tendances marquantes de l'épargne des ménages français observées par la Banque de France ces dernières années ?
Marie-Laure Barut-Etherington : La Banque de France collecte, analyse et publie de nombreuses statistiques portant notamment sur l’évolution des encours et des taux d’intérêt des dépôts et des crédits, sur l’épargne des ménages, sur l’épargne réglementée, sur les fonds d’investissement et les placements des assureurs. Nous sommes donc aux premières loges pour analyser les comportements d'épargne et d'investissement des agents économiques, et des ménages en particulier. Depuis mi-2022, avec la remontée des taux d’intérêt qui a notamment permis au Livret A et au Livret d’Épargne Populaire (LEP), puis aux fonds euros, d’offrir des rémunérations attractives, nous avions constaté une décrue des dépôts à vue en faveur de l’épargne réglementée et de l’assurance-vie.
Le 12 novembre, nous avons publié les résultats de “l’Épargne des ménages” du deuxième trimestre 2024. Pour ce 2e trimestre 2024, le flux d'épargne brute des ménages augmente encore et se rapproche de son record historique (85 milliards d'euros contre 95 milliards d'euros au 2e trimestre 2020). Le taux d'épargne, publié par l'INSEE, atteint ainsi 17,6 %, contre 14,6 % en 2019. Selon nos analyses, ce haut niveau serait notamment alimenté par la hausse de l'incertitude qui pousse à davantage d’épargne de précaution et par l'érosion passée de la valeur du patrimoine lors du pic d'inflation, qui peut avoir conduit certains à réinvestir leurs revenus financiers. Comme les ménages se sont aussi désendettés à hauteur de 5,5 milliards d'euros au 2e trimestre, le flux trimestriel net de placements des ménages a atteint un niveau très élevé de 42 milliards d'euros. La hausse de 27 milliards d'euros par rapport au trimestre précédent est la plus importante depuis fin 2015 et, ce qui est assez notable, c’est que cette épargne est allée d’abord sur les placements financiers avec un fort rebond de ceux en actions.
Comment la politique monétaire actuelle et les perspectives économiques influencent-elles les stratégies patrimoniales à moyen terme ?
Marie-Laure Barut-Etherington : Les stratégies patrimoniales des ménages dépendent de multiples variables : l’âge, le revenu, l’emploi, le patrimoine déjà acquis…
Les biens immobiliers constituent la principale composante de la richesse des ménages. À fin 2023 l’immobilier représente 61 % du patrimoine global des ménages. On pourrait penser que la politique monétaire influe davantage le patrimoine financier (les 39 % restants), mais en fait les implications d'un changement d'orientation de la politique monétaire portent sur tous les actifs patrimoniaux. Ils peuvent être divisés en effets directs ou indirects.
Les effets directs sont liés à l'impact d'une modification du taux directeur sur le revenu financier net des ménages et sur leur incitation à épargner, à statut d'emploi, prix et salaires fixes. L'effet dépend de la composition des portefeuilles des ménages : une baisse des taux entraînant une hausse des prix de l'immobilier, comme nous l’avons connu sur toute la période de taux très bas entre 2015 et mi 2022, a un effet favorable sur les propriétaires et diminue la charge de leur dette. A l’inverse, la baisse des prix immobiliers en 2023, liée au resserrement des conditions de crédit, a entraîné une contraction de la valeur du patrimoine des ménages.
Sur le patrimoine financier, si une baisse des taux intervient dans un contexte de ralentissement marqué de l’économie qui se traduit par un recul des marchés actions, les ménages à hauts revenus – qui sont principalement ceux qui détiennent des placements en fonds propres – seront affectés négativement. Toutefois, les baisses ou les perspectives de baisse de taux peuvent également contribuer à relancer les marchés boursiers – qui anticipent une reprise de l’économie suite à cet assouplissement des conditions de financement des entreprises et des ménages, et donc une hausse de l’investissement et de la consommation. Nous l’avons également vu dans la période récente au moment de la crise du Covid-19 où, après une forte plongée à l’annonce du premier confinement, les marchés boursiers sont repartis à la hausse suite aux actions déterminées des banques centrales sur les taux et sur la liquidité.
Les effets indirects de la politique monétaire sur les comportements d’épargne tiennent à son impact supposé sur la structure des revenus des ménages. La remontée des taux d’intérêt depuis juillet 2022 a pu avoir un impact positif sur leurs revenus financiers, qui sont davantage épargnés que d’autres types de revenus (comme les salaires ou les prestations sociales) car perçus majoritairement par les ménages les plus aisés. Depuis 2022, la remontée des taux d’intérêt a également rendu l’épargne plus attractive tandis que la consommation est devenue plus coûteuse. En conséquence, les ménages ont pu ajuster la répartition de leur revenu entre ces deux composantes, ce que les économistes nomment la « substitution intertemporelle ».
Face aux enjeux climatiques et sociaux, quel rôle peut jouer la gestion patrimoniale dans la transition vers une économie plus durable ? Comment la Banque de France influence cette tendance ?
Marie-Laure Barut-Etherington : La Banque de France n’est pas un conseiller en gestion de patrimoine pour les ménages mais elle active de nombreux leviers pour le climat. Comme l’a rappelé Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France, il y a deux mois, la Banque de France a été reconnue en 2024 comme étant la plus verte des Banques Centrales du G20 par un panel d’ONG internationales. Elle est à l’origine de la création du NGFS (Network for Greening the Financial System) qui regroupe plus de 150 banques centrales et superviseurs pour développer et mettre en commun leurs analyses et leurs pratiques.
Par ailleurs, pour la gestion des actifs dont elle a la pleine et entière responsabilité, la Banque de France applique une charte d’investissement responsable qui traduit son ambition d’exemplarité dans la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Enfin, la Banque de France est très active pour promouvoir l’Union pour l’épargne et l’investissement (UEI), qui s’inscrit dans la continuité de l’Union des marchés de capitaux, et dont l’un des objectifs est de mobiliser l’épargne privée européenne pour le financement des transitions climatiques, démographiques et technologiques.
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