Il y a 30 ans, le ministre des Entreprises et du Développement Économique, Alain Madelin, faisait adopter une loi qui a changé la sécurisation et la protection sociale des professions indépendantes. Regards croisés sur cette loi disruptive, avec les analyses d'Alain Madelin, initiateur de la loi, et de François Pierson, président de l'association AGIPI, sur les impacts et les évolutions, notamment en matière de retraite des indépendants.

Le 11 février 1994, la loi Madelin était adoptée. Quelle était sa philosophie ?

Alain Madelin : À cette époque, les travailleurs indépendants représentaient trois entreprises sur quatre en France et ne totalisaient pas moins de 30 % de l’excédent brut d’exploitation du pays. Mais le statut était totalement sous-évalué, l’idée étant que le salariat s’imposerait comme le modèle incontournable de l’emploi. Le travailleur indépendant avait beaucoup de challenges à relever en matière sociale, à commencer par le statut du conjoint, l’affectation de son patrimoine ou encore les difficultés à la création de son activité. Il était donc important d’agir pour la survivance du statut de travailleur indépendant, en assurant une égalité des droits sociaux entre salariés et non-salariés.

La question de la retraite des indépendants est particulièrement importante. Comment avez-vous répondu à cette problématique ?

Alain Madelin : La protection sociale au sens large était une véritable question, en effet. L’idée du contrat Madelin était d’offrir la possibilité aux indépendants de se constituer une retraite à terme, par capitalisation. Une étude publiée en 2020 par Natixis montre d’ailleurs que la retraite par capitalisation serait dix fois plus rentable que la retraite par répartition. Selon l’étude, un euro cotisé en 1982 donnerait 1,93 euro en 2019 dans un système de retraites par répartition, contre 21,90 euros dans un fonds de pension, investi à 50 % en obligations et à 50 % en actions. Et ce pour une raison simple, c’est que la retraite par répartition est indexée sur la démographie alors que la retraite par capitalisation est indexée sur l’ensemble de l’économie et le partage de la création de valeur et donc moins injuste.

Depuis cette loi, le statut d’autoentrepreneur a été créé. Qu’en pensez-vous ?

Alain Madelin : Dans le texte initial, j’avais déjà prévu un statut proche de celui de l’autoentrepreneur. Mais cela n’a pas été inclus dans le texte définitif car une décision du tribunal des conflits (ndlr tribunal qui régit les conflits entre droit administratif et droit privé) a considéré que l’autoentrepreneur avait une relation de subordination avec son client et que, par conséquent, il relevait du droit du travail. Pourtant, j’avais prévu ce risque en incluant dans le texte que la notion de subordination était sujette à l’appréciation du travailleur indépendant. Je n’ai donc pas été suivi, même si tout était prêt. Mais le statut actuel d’autoentrepreneur offre une souplesse nécessaire au marché du travail.

Quel bilan dressez-vous aujourd’hui du contrat Madelin ?

Alain Madelin : De manière générale, le bilan est plutôt positif. Mais tout est question d’accompagnement par un conseiller qui prend en compte les différentes situations de l’indépendant. Ces dernières sont en effet différentes en fonction de l’âge du travailleur indépendant, du choix de ce statut (volontaire, par défaut ou par intermittence), du choix de l’orientation de son patrimoine au cours de la vie professionnelle… chaque situation nécessite du sur-mesure et donc un bon conseiller. Tout comme un tel conseil sur-mesure est nécessaire pour faire des choix entre contrat Madelin et Plan d’Épargne Retraite (PER) qui présentent des complémentarités importantes.

Quels conseils donneriez-vous aujourd'hui aux entrepreneurs, notamment concernant la préparation de leur retraite ?

Alain Madelin : Je ne donnerais pas de conseils aux entrepreneurs indépendants qui sont très bien accompagnés par les assureurs. En revanche, je considère qu’ils pourraient recevoir un meilleur rendement si l’on savait lever les contraintes absurdes imposées aux assureurs par la directive Solvency II. Sur le long terme, les fonds de pension font en effet largement appel aux actions permettant d’obtenir une meilleure performance.  En effet, comme le montre l’étude de Natixis, si les investissements étaient répartis à 50 % en actions et 50 % en obligations, cela permettrait de distribuer de meilleures performances et donc une meilleure retraite pour les indépendants. Nous n’y sommes pas et pourtant cela serait possible si on n’imposait pas des contraintes de bilan aussi pénalisantes pour les assureurs. En permettant la création de fonds de pension pour les indépendants, je souhaitais à l’époque, faire la démonstration de leur surperformance par rapport au système de retraite par répartition. Une telle surperformance permettait, sans nuire au système de retraite actuel, de faire bénéficier tous les Français de fonds de pension, ce qui est mon souhait le plus cher. Bien évidemment, cela ne pourrait se faire qu’avec une réglementation nouvelle, qui assurerait une totale sécurité aux souscripteurs tout en permettant de tirer parti des performances de l’économie.  

François Pierson, président de l'association AGIPI

Historiquement, les professions indépendantes ont eu une gestion de leurs régimes sociaux par leurs corporations avec des conditions liées à leur activité propre. La Loi Madelin s’est inscrite dans cette logique : avoir le choix de sa protection sociale selon ses besoins.

Le cadre des contrats Madelin a également apporté une confirmation de la place des associations d’assurés, obligatoires pour ces nouveaux contrats, et de leur rôle de représentants des indépendants auprès des assureurs et des pouvoirs publics.

C’est donc naturellement que les associations comme AGIPI, dont l’objet est d’améliorer la protection sociale de ses adhérents, ont utilisé le dispositif Madelin. AGIPI a par exemple intégré dès 2013 une garantie d’exonération de paiement des cotisations prenant en charge les versements sur le contrat de retraite en cas d’arrêt de travail ou d’invalidité

Des preuves du succès du dispositif Madelin ? Elles sont nombreuses surtout chez AGIPI puisque nous avons cru en ce dispositif et étions au rendez-vous dès son lancement. 20 ans après, en 2014, nous dénombrions plus de 200 000 adhésions en prévoyance et retraite. Les encours de notre contrat de retraite historique, le FAR atteignaient 2,8 milliards d'euros.

En 2019 pour les 25 ans du dispositif et à la veille de la loi PACTE c’étaient 4 milliards d'euros d’encours gérés sur ce contrat de retraite Madelin.

Les agents généraux, travailleurs indépendants, ont aussi pleinement saisi l’intérêt de ce dispositif pour eux-mêmes. Quand les experts conseillers de la Loi Madelin que sont les agents choisissent le dispositif Madelin pour eux-mêmes, on peut en conclure qu’il a réellement trouvé son public.

Finalement, le dispositif Madelin a animé, et continue d’animer, l’assurance dans ce qu’elle a de meilleur : la protection des assurés et l’amélioration des garanties.

Au-delà de la protection des indépendants, cette loi a aussi été une formidable rampe de lancement pour le travail non salarié et l’entrepreneuriat. A sa suite, les pouvoirs publics ont certes lentement, mais progressivement, mieux compris la nature de l'entrepreneuriat pour libérer sa force productive et créative.

En portant un regard actuel sur l’essor de l’entrepreneuriat dans notre pays avec la création de plus d’un million d’entreprises en 2023, on ne peut qu’être optimistes sur l’avenir et la croissance des entrepreneurs dans les années à venir.

Cette loi, qui résonne 30 ans après par sa pertinence et son succès, continue à nous encourager à innover pour protéger les entrepreneurs et indépendants.

Crédits photos : Alexandre Isard, J-C Guilloux

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