Alors qu’elle avait disparu pendant près de trente ans, l’inflation revient en force dans l’actualité économique mondiale. La faute aux grands bouleversements que le monde a connus ces dernières années. Que cette inflation soit conjoncturelle ou pérenne, les prévisions économiques vont toutes dans le même sens : la France fera partie des États les moins touchés au monde, grâce aux politiques mises en place aux échelles nationale et européenne.

Le FIL AGIPI vous propose un tour d’horizon des causes et conséquences de ce phénomène économique qui impacte la vie de tous les Français. Retrouvez les regards croisés de deux économistes : Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee, et Denis Ferrand, directeur général de l'institut d'études économiques Rexecode.

L’inflation, c’est quoi au juste ?

En ce moment, le mot « inflation » est sur toutes les lèvres. Synonyme de « hausse du coût de la vie », elle correspond, pour l’Insee, à « une perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix ».

En France, l’Insee la mesure grâce à l’indice des prix à la consommation (IPC). Cet indice est calculé sur la base des variations, entre deux périodes données, des prix d’un panier fixe de biens et services consommés par les ménages. Dans ce calcul, les variations de prix de certaines dépenses essentielles (électricité, essence, alimentation, loyers, assurances, etc.) comptent plus que d’autres.

Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee et Denis Ferrand, directeur général de l'institut d'études économiques Rexecode, reviennent pour AGIPI sur les causes et les effets de cette inflation :

Inflation : à qui la faute ?

Retour aux origines de la flambée des prix.

Les dommages liés à la pandémie

En bouleversant l’équilibre entre l’offre et la demande, l’épidémie de COVID-19 a fortement contribué au retour de l’inflation. Les confinements ont conduit à une chute généralisée de la production, masquée dans un premier temps par la réduction des dépenses des ménages. Mais très vite la chute de production s’est avérée plus importante que celle de la demande, notamment sur certains produits électroniques, dont les ventes ont été dopées par les changements de mode de vie liés à la pandémie.
Ce début d’écart inflationniste (1) s’est accentué avec la levée des mesures sanitaires. Alors que les ménages avaient de nouveau la possibilité de réaliser des dépenses non essentielles, les chaînes de valeur mondiales ont eu des difficultés à redémarrer. En cause : les quarantaines imposées aux employés des chaînes de production atteints du Covid, le manque de containers de transport, la velléité des producteurs de renforcer leurs stocks dans une situation d’approvisionnement incertaine, etc.
Cette forte demande, alors que la production peinait à se remettre en route, a entraîné des pénuries qui ont mécaniquement conduit à une augmentation des prix. Résultat : en août, septembre et octobre 2021, l’inflation a atteint son niveau le plus élevé depuis 13 ans, selon la Banque centrale européenne.

La Chine dope l’inflation

La stratégie « zéro Covid » instaurée par Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, et les nombreux confinements qui en découlent continuent de bouleverser les chaînes logistiques mondiales en paralysant de grands centres d’affaires (Shanghai) ou industriels (Shenzhen). L’industrie chinoise, qui produit de nombreuses pièces intermédiaires, est toujours au ralenti, générant des soucis d’approvisionnement dans le reste du monde. Une situation de pénurie relative qui, là aussi, alimente l’inflation.

La situation en Ukraine

Dès l’automne dernier, pour préparer son opération militaire, la Russie a ralenti ses livraisons de gaz et de pétrole, ce qui a conduit à une première augmentation des prix de l’énergie. L’invasion de l’Ukraine, en plus de ses dramatiques conséquences humanitaires et de ses effets destructeurs sur la population du pays, est venue aggraver cette tendance haussière, la Russie utilisant le gaz et le pétrole comme arme diplomatique contre les sanctions infligées. L’Ukraine, l’un des principaux producteurs mondiaux de céréales (blé, maïs, soja), se trouve actuellement dans l’incapacité de fournir le marché. Les conflits armés ont des conséquences non seulement sur les champs agricoles, qui se retrouvent minés avec des récoltes inexploitables, mais aussi sur les livraisons, qui subissent blocages et difficultés d’acheminement. Ces difficultés de production et d’export touchent également les minerais (aluminium, acier, nickel), essentiels dans beaucoup de nos industries françaises. Résultat : les productions baissent, les coûts augmentent et l’inflation gagne encore du terrain.

Le changement climatique et ses conséquences

Joe Biden, le président américain, a déclaré avant le Sommet des Amériques de juin 2022 : « Notre hémisphère est confronté aux impacts et aux coûts dévastateurs du changement climatique ». Certes, l’impact du changement climatique sur les économies est évalué par le coût des catastrophes naturelles, mais il n’existe à ce jour aucune mesure réalisée pour calculer l’impact de ces problèmes environnementaux sur l’inflation. Pourtant, ces conséquences sont réelles. Les sécheresses, ouragans, feu de forêts… ont indéniablement des conséquences micro et macroéconomiques. D’ailleurs, le National Oceanic and Atmospheric Administration (l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, NOAA) évalue le coût des catastrophes naturelles pour l’économie américaine à 145 milliards de dollars sur 2021, soit une progression de 50 % par rapport à l’année précédente. À l’échelle du globe, le réassureur Swiss Re évalue le coût des catastrophes climatiques à 18 % du PIB mondial. Les effets se ressentent directement sur les prix, notamment sur les matières premières et contribuent, en toute logique, à la croissance de l’inflation.

Quels sont les impacts concrets sur notre quotidien ?

Cette inflation multifactorielle se répercute évidemment sur notre vie quotidienne. Mais au-delà de la hausse des prix des biens de consommation courante que nous observons déjà, elle va aussi avoir des effets sur notre pouvoir d’achat de bien d’autres manières.

Les prix vont continuer à flamber

L’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir a constaté une hausse annuelle des tarifs à la consommation de 6,1 % au mois de mai. Les postes d’énergie connaissent les plus fortes hausses (gaz : + 45 %, gazole : + 39 %, fioul : + 80 %). Mais les autres secteurs de dépenses sont également touchés : + 4,8 % pour l’alimentation générale et + 8 % pour l’hygiène et la beauté. Une hausse des prix qui, selon l’association, devrait se poursuivre dans les rayons des supermarchés à la rentrée, grimpant jusqu’à 7 ou 10 %.

L’irrésistible ascension des taux des crédits

L’inflation exerce une influence sur le coût des crédits immobiliers. Les banques centrales augmentant leurs taux d’intérêt directeur (2) , le coût d’un crédit immobilier croît pour les banques commerciales, qui le répercutent sur leurs clients en réhaussant le taux des crédits. Cette réévaluation affaiblit la capacité d’emprunt des personnes souhaitant investir et affecte directement les ventes, les vendeurs étant contraints de baisser leurs prix.
En ce qui concerne les loyers, ces derniers sont indexés sur l’inflation, ce qui permet aux investisseurs de ne pas perdre de revenu. Les locataires, en revanche, risquent de voir le montant de leur loyer augmenter sensiblement. Un effet particulièrement inquiétant dans les zones tendues, comme Paris, où les loyers, déjà très élevés, constituent la première part des dépenses de revenu pour les locataires.

Et les salaires ?

L’inflation peut également avoir des impacts positifs. En effet, une hausse régulière et générale des prix peut entraîner une hausse des salaires. Cette hausse va en toute logique générer du pouvoir d’achat et avoir ainsi des effets positifs sur l’économie.

Comment sommes-nous protégés contre l’inflation ?

À ce jour, la France s’en sort plutôt bien par rapport au reste du monde : 5,2 % d’inflation sur le mois de mai, alors que l’on frôle les 8 % d’inflation dans la zone euro. Un seuil dépassé aux États-Unis.

Une protection relative qui provient des actions du Gouvernement visant à endiguer les effets de l’inflation et à limiter la hausse des prix auprès du public, en particulier ceux de l'énergie. Un projet de loi sur le pouvoir d’achat sera présenté au conseil des ministres en juillet, en complément des actions déjà mises en place.

D’autres mesures, encore non envisagées pour le moment, pourraient être mises en place pour combattre l’inflation elle-même : politiques budgétaires pour maîtriser les dépenses publiques, politiques visant les revenus, ou encore politiques visant les prix et la concurrence (réglementation des prix des biens de première nécessité, etc.).

Les banques centrales prennent également d’importantes mesures monétaires pour lutter contre l’inflation sans risquer de casser la croissance.

Si ces mesures ne risquent pas de faire disparaître l'inflation du jour au lendemain, des raisons d’être optimistes existent néanmoins. D’après la Banque centrale européenne, ces politiques de lutte contre la flambée inflationniste devraient permettre, dans un premier temps, de freiner l’augmentation rapide des prix pour finalement faire reculer l’inflation courant 2022.

(1) Un écart d’inflation est un écart de production dans lequel le produit intérieur brut (PIB) réel corrigé de l’inflation d’un pays dépasse le PIB potentiel de plein emploi. Concrètement, il indique que la croissance de la demande de produits et services dépasse la croissance de la capacité à fournir ces mêmes biens et services. Les économistes considèrent un écart inflationniste comme un signe avant-coureur de l’inflation.

(2) Les taux directeurs sont les taux d'intérêt au jour le jour fixés par la banque centrale d'un pays, ou d'une union monétaire, permettant à celle-ci de réguler l'activité économique.

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