Il y a 18 mois, hormis quelques scientifiques, peu de personnes avaient entendu parler d’ARN messager (ARNm). Pourtant, cela fait longtemps que les laboratoires travaillent sur l’acide ribonucléique messager que l’émergence de la Covid-19 a mis en lumière. Petit point sur cet ARN messager et ses promesses d’espoir, pour l’épidémie qui agite le monde, mais aussi pour bien d’autres maladies, comme le cancer ou le SIDA.
Un principe simple.
Découvert par Jacques Monod, François Jacob et leur équipe de l’Institut Pasteur, l’ARN messager leur valut le prix Nobel en 1965. Depuis une trentaine d’années, de nombreux chercheurs travaillent sur les immenses potentialités de cette molécule, qui intervient au cœur de la cellule.
Le principe est assez simple : unités fonctionnelles fondamentales de tous les êtres vivants, les cellules (sauf, notamment, les globules rouges) possèdent un matériel génétique, ADN et ARN. Ce dernier intervient dans la biosynthèse des protéines* nécessaires à son bon fonctionnement et à celui de l’organisme qui l’abrite. L’ARN est, en quelque sorte, un donneur d’ordre de la production de protéines. En bloquant ou en activant des processus biologiques, il assure les besoins du vivant et pallie ses manques. Ainsi, il peut commander des antigènes pour contrer un pathogène, ou accélérer la fabrication de protéines spécifiques pour, par exemple, favoriser la régénération osseuse à la suite d’une fracture.
Un vaccin efficace.
Un vaccin ARNm agit en modifiant ponctuellement l’ordre donné. Après avoir identifié le marqueur du pathogène, la cellule reçoit un message qui lui indique cet ennemi à combattre. Dans le cas de la Covid-19, il s’agit d’une forme particulière de la protéine Spike (appelée aussi péplomère ou spicule) présente sur le virus. Dûment alertée par le vaccin ARNm, la cellule « comprend » le message et peut alors annihiler l’intrus. Avec, toutefois, la limite des variants…
Les avantages de ce type de vaccin par rapport à un vaccin classique (inoculation de souches désactivées d’une maladie) sont nombreux, à commencer par sa plus grande efficacité et l’absence de risques de surdose. L’ARNm injecté se dégrade en quelques heures ou quelques jours, ce qui limite aussi les effets indésirables. La molécule ne provoque aucune modification du génome et sa production ne nécessite aucun adjuvant, ni de longues mises en culture.
Le problème du coût.
On sait que la recherche coûte cher. Mais la pandémie de Covid a donné un énorme « coup de turbo » à tous les laboratoires qui travaillent sur l’ARNm. Si les vaccins utilisant cette technologie s’avèrent efficaces pour contrer le virus, la méthode pourrait avoir d’autres bénéfices et aider à lutter contre bien des maladies.
Depuis longtemps, les chercheurs pensent qu’en « éduquant » ainsi le système immunitaire, ils parlent plutôt d’immunostimulation, les traitements ARNm pourraient bientôt permettre de combattre certains cancers. En effet, si les cellules saines venaient à identifier celles que la maladie a altérées et qui ne demandent qu’à proliférer, les tumeurs seraient efficacement attaquées.
Plusieurs problèmes se posent néanmoins pour passer à l’offensive. D’une part, il existe une grande variété de cancers, et donc autant de messages à faire passer aux cellules, puisque l’immense plasticité** des cellules malades impliquerait de fréquentes injections d’une molécule adaptée. D’autre part, si les quantités d’ARNm inoculées pour lutter contre la Covid sont faibles, celles qui permettraient de combattre le cancer sont beaucoup plus importantes… et donc coûteuses.
Un avenir prometteur.
Malgré cette problématique financière, la technologie ARNm est excessivement prometteuse. Des équipes médicales cherchent à l’utiliser pour lutter aussi contre le VIH, d’autres pour combattre le chikungunya ou le virus Ebola.
Par ailleurs, la recherche se penche aussi sur une autre potentialité : on a dit plus haut que, en cas de fracture, les cellules accéléraient la production de protéines favorisant la régénération osseuse. Aussi, une injection ciblée pourrait-elle favoriser ce type de production. Par exemple, à la suite d’un problème cardiaque, on pourrait suggérer aux cellules de créer de nouveaux vaisseaux afin de mieux alimenter le cœur et de faciliter la circulation, permettant ainsi un meilleur rétablissement du patient.
L’ARNm ouvre donc un vaste champ d’espoir pour de nombreuses maladies. Mais d’autres techniques génétiques sont tout aussi prometteuses. Ainsi, celle des « ciseaux génétiques » (CRISPR-Cas9 en langage médical) qui, intervenant dans le noyau cellulaire sur la structure ADN, suppriment des gènes défectueux pour les remplacer par des gènes sains. L’avenir est peut-être dans la combinaison de ces deux pratiques. La recherche n’a pas fini de nous étonner.
* La biosynthèse des protéines est l’ensemble des processus biochimiques permettant aux cellules de produire leurs protéines à partir de leurs gènes afin de compenser les pertes en protéines par sécrétion ou par dégradation.
** La plasticité cellulaire fait référence à la capacité des cellules à changer d’identité et de fonction.